« Samar … une personnalité très forte, très indépendante et très aimée ».
Par ces mots, Maysa Salih décrit le personnage de sa sœur Samar Saleh. Une jeune femme « débridée et passionnée », qui où qu’elle passe, répand la joie et le bonheur. Cette clameur qui l’a caractérisait, s’est éteinte suite à son enlèvement par l’État islamique, alors qu’elle faisait la joie de sa famille.
Samar est née le 28 juin 1988 dans la ville d’Atarib, dans la campagne ouest d’Alep. Lorsqu’elle commence le collège, la famille déménage pour vivre dans la ville d’Alep. Cette fille croquait la vie avec des yeux brillant de passion, de positivisme et d’une détermination prompte à la réalisation de soi, la singularité et le succès. Elle fît preuve d’excellentes capacités tout au long de ses études et était passionnée par l’apprentissage, notamment par la lecture de livres sur la mythologie et l’histoire.
Samar choisit d’étudier l’archéologie et rejoint la Faculté d’archéologie et des musées de l’Université d’Alep, dont elle est diplômée avec mention en 2012. Elle était très passionnée par son domaine d’étude. Son obsession pour l’archéologie et les fouilles avait commencé tôt, alors qu’elle participe à plusieurs ateliers de fouilles en Syrie au cours de ses études. Sous les yeux de sa sœur Misa, elle grandissait, mûrissait et devenait indépendante dans la vie. Elle se distinguait également des membres de sa génération et de ses amis :
« Je la voyais grandir. Elle avait ses défis dans la vie et c’était une personne rebelle qui cherchait à se distinguer. C’est une personne qui était très indépendante et dont le futur aurait été brillant. Elle travaillait toujours pour s’améliorer, pour être différente et réaliser ses objectifs. Elle avait réussi à ouvrir son esprit et être différente de ses homologues du même âge. »
La personnalité forte, rebelle et passionnée de Samar lui a permis de se sentir libre de participer à la Révolution pour la liberté et la dignité, dès ses débuts en 2011. À cette époque, elle était encore étudiante à la Faculté d’archéologie et des musées de l’Université d’Alep. Elle a donc participé au mouvement universitaire et a organisé, avec ses amis, plusieurs activités civiques, y compris des manifestations pacifiques avec des distributions de tracts. Les étudiants avaient essayé de coordonner leurs activités à l’Université, avec celles de différents collectifs dans les quartiers rebelles d’Alep. Elle a été arrêtée par le « Service de renseignement de l’armée de l’air », lors d’une manifestation en 2012.
A la suite d’une répression contre le mouvement pacifique ainsi que diverses manifestations à Alep et ses alentours, des centaines de familles se sont déplacées vers la ville. Elles fuyaient également les bombardements violents du régime dans les campagnes.
Aussitôt, Samar a commencé un travail de secours pour aider ces familles. Avec ses amis, elle a aménagé plusieurs écoles d’Alep en centre d’accueil, afin d’accueillir les déplacés et subvenir à leurs besoins essentiels. Elle a travaillé dans plusieurs quartiers : « Alssyrian Al-Qadim », « Alssyrian Al-Jadid », « Hoda Shaarawi », et d’autres.
« Elle s’adonnait, de tout son cœur, à son travail de secours. Elle dormait à peine pendant la crise des déplacés de la campagne d’Alep. Elle ne rentrait chez elle que pendant quelques heures, elle dormait, mangeait et retournait travailler. Elle passait tout son temps à aider les déplacés et à parler avec des gens pour obtenir des matelas, des couvertures et de la nourriture. À chaque fois qu’une famille arrivait, elle courait immédiatement à son secours ».
Elle souffrait psychologiquement et physiquement de son dévouement à ce travail qui prenait tout son temps, du matin au soir. Elle écoutait des histoires de meurtres et de tortures, a prêté ses oreilles au récit tragique d’enfants de la campagne, ayant enduré la violence des troupes militaires du « régime syrien ».
Le travail de Samar ne se limitait pas aux simples activités civiques et au travail humanitaire dans la ville d’Alep. Malgré la dangerosité de la situation, elle se rendait le vendredi à Atarib pour participer aux manifestations et y coordonner la révolte. Maysa se rappelle l’enthousiasme de Samar lors d’une manifestation à laquelle les deux sœurs avaient participé à Bustan Al-Qasr à Alep. « J’ai vu comment elle chantait, comment elle insistait pour que la manifestation se déroule pacifiquement. Les gens de la ville la connaissaient et l’aimaient, ils étaient prêts à la protéger. »
Samar était clair sur son refus d’un mouvement armé et soutenait l’idée de poursuivre un mouvement révolutionnaire et civil. Bien qu’elle ait été déçue par l’intensification de la militarisation et des abus répressifs du côté des rebelles, elle a décidé de ne pas laisser tomber et de continuer de défendre l’idée d’un mouvement pacifique
Samar a été diplômée avec mention en 2012 et a obtenu une bourse pour terminer ses études en master et en doctorat en « Égypte ». Elle a vécu un long conflit avant d’accepter de quitter la Syrie et continuer ses études en Égypte. Après une grande pression de la part de son entourage proche qui avait peur qu’elle soit arrêtée ou tuée, elle rejoint l’Égypte à la fin de l’année 2012. Malgré son éloignement, elle n’a pas coupé le cordon avec la révolution et le mouvement sur le terrain. Elle a continué à lutter de l’extérieur en participant à des activités de soutien au mouvement.
En 2013, Samar était en Turquie avec son compagnon Mohammad al-Omar, qu’elle aimait plus qu’elle-même. Omar était un « activiste journaliste », partisan de la révolution et parmi les premiers à être sur les fronts. Il donnait des formations aux activistes dans le domaine des médias à l’intérieur de la Syrie. L’un de ses ateliers avait lieu à Atarib, une ville où Daech avait commencé à opérer.
Mohammad a insisté pour se rendre en Syrie, afin d’y mener des formations. Samar, n’avait pourtant pas donné son accord pour ce voyage. Tous les deux ont pressenti le risque qu’ils prenaient, surtout après avoir été menacés à plusieurs reprises. La détermination de Mohammad à affronter le danger a encouragé Samar à l’accompagner. Elle pensait qu’elle était capable de le protéger étant la fille de la ville d’Atarib, et elle comptait sur des proches et des connaissances qui pouvaient intervenir au cas où il faille les protéger.
Samar a eu tort. Personne n’est intervenu pour les protéger lorsqu’ils ont été kidnappés par la force des armes à Atarib, le 13 août 2013, ni lorsqu’ils se sont fait frapper et insulter sous les yeux de sa mère dont les cris et les supplications ne l’ont pas aidé. En compagnie de Mohammad, Samar rentrait chez sa mère lorsque trois grosses voitures aux vitres teintées se sont arrêtées. Plusieurs hommes armés et masqués sont descendus et ont violemment frappé Samar et Mohammad. Ils ont traîné Samar par ses cheveux sous les yeux de sa mère et l’ont mise dans une des voitures. Ils sont repartis directement sans laisser la moindre trace ou le moindre indice qui pourrait indiquer l’identité du groupe de malfaiteurs.
Au début, ni les parents de Samar, ni ceux de Mohammad, ni leurs amis, ne savaient qui avait orchestré l’enlèvement, jusqu’à ce que des membres de l’État islamique utilisent les comptes personnels de Samar et Mohammad sur les réseaux sociaux pour menacer leurs familles et amis d’un sort similaire. Il a donc été admis qu’ils en étaient responsables.
L’enlèvement de Samar a complètement bouleversé la vie des membres de sa famille. Il a accentué la douleur de la famille qui avait déjà été déchirée suite à l’arrestation de sa sœur Maysa, par le « régime syrien ». L’enlèvement de Samar leur a brisé le cœur et a transformé leur vie en enfer de chagrin et d’inquiétude face à l’avenir incertain de leurs filles.
Par décision de ses parents, Maysa n’a appris l’enlèvement de sa sœur qu’après avoir été libérée. Elle décrit ce moment, lorsqu’elle apprend la nouvelle sur les réseaux sociaux : « la nouvelle a été douloureuse et dure pour moi. Les 7 mois d’arrestation n’ont pas été aussi difficiles. Ça m’a cassé le dos, comme si son enlèvement, moins que la prison où j’étais retenue, était la cause de mes détresses. Quand j’ai été arrêtée, Daech n’existait pas, quand j’ai été libérée, Daech était là. Il avait kidnappé ma sœur en plus de d’autres personnes que je connaissais ».
La famille a tout essayé pour tenter de connaître le sort de Samar, au prix de divers moyens et de nombreux efforts de la part de sa mère. Dès le premier moment de son enlèvement, celle-ci s’est rendue aux sièges de « l’armée syrienne libre » et aux sièges des « tribunaux de la charia », mais personne n’a pris l’initiative de lui répondre. Toutes ses tentatives ont été confrontées à des cas de fraude, d’escroquerie et de mensonge à plusieurs niveaux. Elle a été menacée de subir le même sort, a été victime de chantage. Certaines personnes ont même diffusé de fausses informations prétendant la libération de Samar dans des zones qui avaient été libérées de Daech.
Ces échecs ont souvent provoqué des dépressions nerveuses et psychologiques chez la famille de Samar, comme c’est le cas pour de nombreuses familles. Maysa décrit l’état de sa mère : « maman est devenue obsédée par la recherche de Samar. Elle est devenue sensible et facilement affectée. Elle est allée dans des endroits affreux pour la chercher. Récemment, elle a voulu aller à Raqqa mais c’était claire qu’il s’agissait d’une embuscade et si nous ne lui avions pas fait pression, elle y serait allée ».
Aujourd’hui, la famille de Samar ne vit plus au même endroit. Ses membres sont dispersés dans différents endroits du monde. Sa famille lutte toujours pour obtenir des informations sur le sort de leur cadette, qui grandit année après année dans l’inconnu. Leur vie a complètement changé et son absence a laissé des cicatrices qu’ils n’ont pas pu surmonter malgré le temps passé. La blessure ne guérira pas tant que le temps qui passe sera l’indicateur du temps que Samar passe dans les prisons, loin de la vie qu’elle mérite :
« Notre vie a complètement changé. Que ce soit celles de mes parents ou de mes sœurs, je constate à quel point leurs vies sont impactées par l’absence de Samar. Tout a été bouleversé. C’était peut-être encore plus déstabilisant pour ma sœur Rasha, la plus proche de Samar, avec qui elle a grandi et dont l’absence eut des répercussions sur ses choix de vie.
Aujourd’hui encore, penser à Samar m’attriste et ma douleur est accentuée par un sentiment d’impuissance car je ne peux rien faire. Une douleur omniprésente, comme s’il manquait quelque chose dans la vie. Je vois les amis de Samar qui sont maintenant en Europe, ils ont eu l’opportunité de changer leur vie. Samar mérite d’être parmi eux, elle mérite une deuxième chance pour vivre et d’être dans un endroit meilleur ».
Aux côtés de nombreuses organisations locales et internationales, la famille se joint à d’autres familles de disparus en Syrie pour organiser plusieurs activités et conférences à travers le monde. Leur objectif est de faire pression sur les puissances mondiales, particulièrement sur les pays participant à la « Coalition internationale contre Daech » dirigée par les États-Unis, pour qu’elles les aident dans leur recherche de la vérité, surtout depuis qu’ils ont annoncé l’élimination de Daech en Syrie.
Cette situation ne fait qu’accroître l’anxiété et la peur des familles. Aujourd’hui, la famille de Samar ne peut compter que sur elle-même pour cette cause. Elle surmonte ce cauchemar avec l’espoir d’un retour de Samar.
« J’aurais souhaité que nous passions plus de temps ensemble, que Samar soit présente parmi nous aujourd’hui. J’aurais souhaité que ce cauchemar qu’elle vit actuellement se termine et qu’elle revienne à la vie, qu’elle vive la vie qu’elle mérite ».